Alors voilà, non content de t’infliger un mois d’attente pour pouvoir enfin lire un nouvel article, je pousse le vice en t’en imposant un directement en rapport avec une expérience personnelle : l’achèvement de mon premier roman.

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Roman en cours

Après, le seul et unique article écrit sur SFFF Zone centré sur mes états d’âme d’écrivaillon était le premier. Et comme cela fait pas loin de deux ans qu’il est paru et que presque personne ne l’a lu, on ne peut pas vraiment me reprocher de plomber ce site avec ma misérable vie d’écrivain en devenir.

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5 raisons qui prouvent que tu es un écrivain de l’imaginaire

Surtout que, comme ce premier article, celui que tu vas lire maintenant pourrait bien t’intéresser si tu n’as pas encore posé de point final sur un premier roman, au risque de révéler une partie de ce qui t’attend en perdant ta, euh… disons ta « virginité scripturale ».

C’est comme avec les enfants : 5 minutes de plaisir (pour trouver l’idée), 20 ans d’emmerdes (pour la concrétiser).

Quant aux auteurs vétérans et aguerris qui se trouvent devant cet écran, je les salue bien bas et les remercie de ne pas se moquer trop fort, tout en les invitant respectueusement à se remémorer ce qu’ils ont eux-mêmes éprouvé en racontant leur première fois dans les commentaires !

1. Terminer un jour, voeu pieu restera

Personnellement, je trouve ça assez pesant, les « bilans annuels » et les « résolutions d’écriture » qui pleuvent sur les blogs d’écrivains à cette période de l’année. C’est vaguement intéressant, certes, mais ça n’apporte rien aux lecteurs. C’est en quelque sorte une façon de se donner publiquement bonne conscience en se disant que si on l’a marqué quelque part et que d’autres peuvent le voir, alors on est tenu de s’y soumettre.

Enfin, je peux bien me moquer de ceux qui fixent publiquement leurs objectifs dans un article de blog, c’est de la pure mauvaise foi de ma part. Jusqu’à novembre 2017, je n’avais qu’une moitié de livre exploitable, soit environ 300 pages à peu près correctes, le reste étant composé de notes et de synopsis détaillés, pour certains encore assez flous.

(Sanglots et bruits de flagellation)

Pour terminer l’autre moitié, il a fallu que je me tienne à une deadline, sans quoi il serait probablement resté au stade du voeu pieux pendant au moins quelques mois si ce n’est davantage.

Encore qu’une deadline, en réalité, ce n’est ni plus ni moins qu’une date notée sur un calendrier. Ce n’est pas définitif, on peut toujours trouver une échappatoire et se dire que bon, si on ne la respecte pas, c’est pas grave, après tout c’est qui le boss, hein ? Eh oh, c’est pas un calendrier accroché dans la cuisine qui va nous dicter ce qu’on doit faire, non ?

Peut-être fais-tu partie de ces âmes parfaites capable de respecter des limites de temps que tu t’es toi-même assigné, auquel cas tu peux être sûr que ta force morale et ton abnégation sont probablement vénérés quelque part par une secte ou une tribu primitive. Parce qu’entre le boulot alimentaire, la famille, les enfants, les sollicitations des copains, le besoin de rien foutre – je parle bien du besoin physique de se reposer le cerveau, pas de procrastination, hein – et mille autres petites choses qui font que t’as l’impression que tu dois déjà retourner dans ton lit alors que la journée vient à peine de commencer, il est aisé de se soustraire aux intentions les plus nobles et de rompre sans vergogne les promesses les plus solennelles de terminer son roman.

2. Une vraie deadline tu t’imposeras

Il te faut une deadline imposée. Imposée par quelqu’un d’autre, qui te surveillera et même mieux, te sanctionnera si jamais tu ne respectes pas la limite.

Ta grand-mère peut faire un candidat sérieux, si elle te fait encore peur.

Première limite imposée pour ma part : le NaNoWriMo. Tous les mois de novembre, un défi d’écriture de 50 000 mots – soit environ 200 pages – à écrire en 30 jours. Un bon coup de boost – non, soyons honnête : un énorme coup de pied au cul – qui m’a permis d’avancer sur un quart du livre et de scénariser en détail le dernier qui restait. À raison de vingt à trente pages par week-end, je suis même parvenu à rattraper une semaine « blanche » durant laquelle c’était écrire ou dormir, au choix.

Mais ce n’était pas encore terminé et j’aurais très bien pu laisser passer l’année jusqu’à la prochaine édition, fin 2018, pour trouver prétexte à terminer ce gros machin.

Dix mois. Chuis large.

Il a fallu qu’un éditeur impose une date limite de réception des manuscrits pour que je passe en mode yolo en me disant « c’est maintenant ou jamais ». Après, il sera trop tard, d’autant qu’il s’agissait de l’éditeur que je voulais solliciter en premier. Bref, la décision fut vite prise. Sauf que ça équivalait à faire un deuxième NaNoWriMo sur le mois de janvier, un mois tout juste après la fin du premier.

Tic-tac, tic-tac, je peux te dire que le calendrier de la cuisine, je l’ai regardé différemment lorsque j’ai pris cette décision. Donc si tu veux être sûr de terminer quelque chose en te sachant incapable de te l’imposer toi-même, fais-toi la main sur des appels à textes, des concours de nouvelles ou que sais-je encore. Lorsque la décision de terminer ou non ne vient plus de toi mais d’un autre, tu n’as plus d’échappatoire. Tu dois finir.

Et ceci sans copilote ni parachute.

3. Tes années d’efforts, enfin savoureras

Le 16 avril 1999.

C’est la date – fort ancienne – où j’ai eu l’idée du cycle de romans que je suis en train d’écrire. Cela dit, faut pas exagérer, le concept initial du roman que je viens de terminer ne date lui « que » du 1er août 2001, alors bon, c’est pas si vieux. C’était juste avant le 11-Septembre. Voilà.

Oh, putain, qu’est-ce que j’ai fait, bordel ? Qu’est-ce que j’ai fait de toutes ces années ?

Eh bien, figure-toi que j’ai fait pas mal de choses, en fait. Un codex de 700 pages avec :

  • des plans,
  • des illustrations,
  • des fiches personnages,
  • le détail du fonctionnement de toutes les technologies imaginées spécialement pour le roman (parce que l’intrigue dépend de certaines),
  • des frises chronologiques et des calculs exponentiels de croissance de la population sur deux millénaires (parce que l’intrigue mêle présent et passé),
  • les diagrammes complets d’un système politique entièrement inédit (pour déterminer comment un traître pourrait le renverser),
  • un modèle réaliste de saisons sur une planète à anneaux (rapport aux zones d’ombre, tu vois. Plus nerd, tu meurs),
  • une représentation schématique complète avec calcul des distances, des volumes et de la superficie du principal environnement du livre (pour pouvoir raconter comment les personnages s’y déplacent de manière crédible et cohérente).
  • Parler avec un spécialiste ukrainien de la géothermie à Istanbul (pour valider le principe d’alimentation énergétique de cités souterraines n’existant que dans mon imagination).

Ah oui, et vingt-cinq à trente versions différentes des trois cents premières pages déjà écrites, parce que bon, voilà, on n’écrit pas bien d’emblée. Il faut s’entraîner et ton premier livre sera avant tout un laboratoire d’écriture.

Trouver la bonne approche pour raconter l’histoire, faire sonner les dialogues de manière fluide, tester plusieurs points de vue (première personne ? narrateur à la troisième ?), rendre ses descriptions immersives et intéressantes.

Aller jusqu’à épouser une prof de français pour comprendre enfin les règles de la concordance des temps.

Et comme c’est devenu hyper branché, tu peux plus te moquer des nerds. Prends ça dans ta face.

Amputer deux chapitres entiers, bien que parfaitement exécutés, avec le mince espoir de pouvoir les recycler dans les tomes suivants. Permuter carrément deux personnages principaux, si bien qu’il a fallu remplacer « elle » par « il » et tous les noms propres dans six chapitres au moins. Tailler dans l’intrigue à la hache au point de devoir réécrire tout ce qui avait été déjà rédigé auparavant. Se rendre compte que c’était stupide et retrouver l’ancienne version. Se retrouver avec trois versions différentes à fusionner phrase après phrase. S’endormir sur le clavier.

4. Ton style d’écriture, soudain révéleras

Mais surtout, réussir ou du moins parvenir à toucher du doigt quelque chose d’extraordinairement difficile : exprimer son intention d’auteur et le sens de son histoire en peu de mots. En d’autres termes, trouver son style d’écriture.

Durant ce mois de janvier, j’ai dû reprendre un chapitre initialement écrit dix ans plus tôt. Il était incompréhensible. Enfin, disons que moi je comprenais très bien le sens de ce que j’avais voulu dire, mais un autre lecteur s’en serait tiré avec une fantastique migraine avant d’avoir atteint la page deux. Parce que j’avais progressé entretemps, les trois cents premières pages déjà rédigées ont dû être réécrites presque entièrement.

Oui, trois cents pages comme ça.

Pour pouvoir enfin trouver son style, il faut identifier ses faiblesses. Il faut trouver ses limites et les dépasser. Et pour réussir cela, ces dix à quinze ans d’entraînement furent pour moi probablement un minimum. Mais comme une grande partie de ces années n’a pas été consacrée à l’écriture, je te rassure : tu peux sans l’ombre d’un doute progresser beaucoup plus rapidement.

Sans ce codex gigantesque, sans cet entraînement à la dure, j’aurais été incapable de terminer dans les temps. J’aurais été incapable de rédiger autant de pages de manière aussi fluide et rapide.

5. Tes ultimes limites tu découvriras

Et c’est probablement cela qui est extraordinaire.

Les deux dernières semaines de janvier, j’étais concentré à cent pour cent sur mon objectif. Pas à quatre-vingt-dix ni à quatre-vingt-quinze, non : à cent pour cent. Il a fallu que je ferme la porte à pas mal de gens, en particulier dans mon travail, en les prévenant en décembre que je serais indisponible tout un mois sans exception possible. Il a fallu m’organiser pour pouvoir faire des journées de douze à quinze heures sans trop perturber le quotidien familial. Ce qui n’est pas chose possible pour tout le monde, j’en conviens, ni tenable sur le long terme.

La dernière semaine, j’ai ainsi rédigé les cent vingt pages décisives qui concluent le roman en m’appuyant sur quelques dizaines de pages de notes, bien sûr, mais surtout sur toutes ces années de passif à inventer puis imbriquer des centaines de petits morceaux d’informations. Ce qui me fait dire que ce n’est pas uniquement à cause de cette deadline que j’ai réussi : c’est avant tout grâce à ce passif a priori inutile que j’ai pu rédiger entre quinze et vingt-cinq pages par jour en état de transe maximale.

Ça et ma wonder woman à moi (ici en train de donner à manger à la petite dernière).

Tout coulait de source. Même les changements d’intrigue au dernier moment étaient logiques. Tout s’emboîtait parfaitement. Les personnages vivaient réellement, faisaient leurs propres choix, je ressentais littéralement leurs émotions négatives et positives sans me rendre compte que j’étais en train de les écrire.

Il était trois heures du matin, vingt-et-une heures avant la limite lorsque j’ai enfin posé le point final.

6. Après le mot fin jamais n’arrêteras

Il m’a fallu trois jours pour me sevrer de ce rythme frénétique. Le lendemain soir, après avoir fêté cet aboutissement de plus de quinze années de travail au champagne, impossible de dormir, de même que les trois nuits suivantes. Trop excité, trop survolté. La tête emplie des personnages et des situations que je venais d’écrire, à relire des parties au hasard pour y trouver, évidemment, des coquilles et des incohérences mineures à corriger par la suite.

La suite, justement… Il se trouve que mon roman en a une. Ai-je oublié de te le préciser ? Pendant les quinze et quelques années susmentionnées, j’avoue, il est possible que j’aie vaguement défini la trame des autres romans du même cycle. Deux ou trois. Enfin quatre ou cinq. Enfin c’est pas la question, je fais ce que je veux. Et puis y a pas grand chose de fait dessus… L’intrigue complète. Le séquençage précis des chapitres. Tous les principaux personnages. Cinquante pages de synopsis pour chacun.

Oh, putain, qu’est-ce que j’ai fait, bordel ?

Les écrivains de science-fiction sont vraiment des tarés. J’aimerais pas être à la place de leurs éditeurs.

Bref, je disais donc que la nuit suivant celle où j’ai terminé mon premier roman, c’est allongé sur un canapé entre trois et quatre heures du matin que j’ai imaginé dans le détail trois des plus importants chapitres du tome suivant.

Oups.

7. Une période de deuil tu ressentiras

Au bout de ces trois jours, évidemment, comme je n’avais pas dormi de la semaine – ni d’ailleurs du mois précédent, maintenant que j’y pense – je me suis écroulé pendant deux jours. La tension nerveuse s’est relâchée. Boum. Ça pardonne pas.

Et le lendemain, surgissant sans crier gare, une subite déprime.

Y a des coquilles partout, des incohérences grossières, pourquoi j’ai laissé ce chapitre bon sang j’aurais dû le virer, oh non qu’est-ce que j’ai fait j’ai quand même pas écrit ça, et là c’est quoi cette phrase en double me dites pas que j’ai envoyé ça.

Si rien ne te prépare à ressentir cette sensation de plénitude absolue lorsque tu découvres enfin ton style, sache que ce n’est rien par rapport à ce moment fétide où te considères soudain comme une sous-merde. Inepte, indigne de ces illustres et prestigieux auteurs dont les livres hantent ta bibliothèque, qui te donnent envie de pleurer de honte à chaque fois que tu les vois devant toi, assis sur ton canapé.

Don’t fuck with the Sci-Fi guy.

Tu as honte d’avoir envoyé ton manuscrit. Honte que d’autres gens te lisent, en particulier tes proches et tes amis. Même leurs félicitations et leurs appréciations sincères te font comme des blessures.

Soudain, tu n’as plus envie de rien. Ni de lire un livre, encore moins d’écrire. Même pas un misérable article de blog, ou un mail. Rien. Regarder un film ? Allez, même jouer à un jeu vidéo, c’est facile, ça.

Non. Tu ne veux personne. Tu n’as plus goût à rien.

Heureusement, ça passe plutôt vite. Mais c’est horriblement désagréable.

8. Si fait pour cela, enfin tu sauras

  • Quand tu es prêt à sacrifier une partie de ta vie personnelle et professionnelle sans hésiter une seconde.
  • Quand tu te rends compte que tu as écrit vingt pages en neuf heures d’affilée, mais que tu te sens tout prêt à recommencer le soir pendant neuf heures supplémentaires.
  • Quand tu te mets à pleurer en même temps que les personnages dont tu écris l’histoire.
  • Quand tout s’enchaîne et s’emboîte de manière naturelle et logique, sans effort, grâce à des années de préparation et une connaissance parfaite de l’intrigue et des personnages.
  • Quand tu ressens une irrépressible fierté en découvrant que ce que tu avais préparé dix ans plus tôt t’était en réalité utile, là, juste cinq minutes avant de poser le point final.
  • Quand à quatre heures du matin, bien que tes paupières se ferment d’elles-mêmes, tu ne peux pas t’empêcher de vérifier une dernière fois s’il n’y a pas des coquilles ou des formulations à revoir.
  • Quand tu passes ton temps à relire nuit et jour tout ce que tu as écrit pendant les trois jours qui suivent la fin, dans le métro, le bus, en marchant dans la rue, en faisant la cuisine, à trois heures du matin sous la couette et jusque dans les chiottes.
  • Quand tu dois te forcer pour ne pas écrire le tome suivant.

Alors…

Alors tu sauras que tu es fait pour ça.

Joanne, le mot de la fin ?

Merci à toi mon amour à qui je dois cinquante pour cent du travail, pour m’avoir soutenu, poussé aux fesses, supporté et vu errer dans la maison comme un colocataire pendant plus d’un mois.

Merci à tous les écrivains blogueurs pour leurs conseils fabuleusement utiles pour réussir cette terrible épreuve, avec un salut tout particulier à Stéphane Arnier (et notamment ses articles sur les règles Pixar), Ghaan Ima (L’Écrivain alchimiste) et Lionel Davoust.

2 Commentaires
  1. bélitre 4 ans Il y a

    C’est marrant, parce que je n’ai pas été surpris par le point 3 (“oh my god writing is so hard”).
    J’ai commencé à penser à une histoire aussi, même si je n’ai couché sur
    papier que des bribes d’idées (et pourtant ça fait un moment que j’ai
    commencé à la forger dans ma tête cette histoire).
    Bref, pour moi il semble normal de réunir des références et d’aller voir des spécialises
    de certains domaines pour garder une histoire plausible et cohérente.

    J’ai aussi eu à peu près la même réflexion concernant le fait qu’on ne peut
    pas être parfait du premier coup. Après avoir eu ma première idée, et m’être fait la réflexion qu’elle avait du potentiel, je me suis dit qu’il fallait que je fasse une histoire test, pour progresser et ne pas
    «gâcher» l’idée prometteuse.
    In fine, je me suis rendu compte rapidement que l’histoire test avait aussi pas mal d’atouts à faire valoir. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il serait débile de faire des histoire test-test-test, et j’ai donc juste continuer à penser à des idées et à développer mes histoires, même si j’ignore si je les publierais un jour (je fait des études d’inforrmatique en ce moment, et là où je suis, les
    journées de 12-15h sont assez communes aussi, quand ce n’est pas un
    weekend blanc de plus de 40h).

    En tout cas je suis content d’avoir découvert ce blog !

    Bonne continuation

  2. Jordi Vila 6 ans Il y a

    Bravo ! Beau teasing en tout cas 😉

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