Si je te disais que tous les livres de science-fiction qui ont été publiés depuis la nuit des temps reposent seulement sur six thèmes, est-ce que tu le croirais ?

Six thèmes, et pas un de plus. Ça parait dingue, hein ?

En fait, il faudrait plutôt parler de « trois fois deux thèmes ». Trois « doublets primordiaux de l’anticipation scientifique », tels qu’ils ont été théorisés par Serge Lehman, écrivain, critique et anthologiste au début des années 2000.

Lehman s’est beaucoup intéressé à la science-fiction française antérieure aux années 50 et a effectué des recherches historiques approfondies pour réhabiliter ce que l’on appelait à l’époque le « roman scientifique ».

Ces six thèmes, quels sont-ils ? Je ne vais pas tourner autour du pot :

  • Monde perdu et Voyages extraordinaires
  • Savant fou et Homme ou animal truqué
  • Fin du monde et Guerre future

Tu peux chercher, tu peux fouiller, tu peux t’acharner autant que tu veux, n’importe quel livre de science-fiction sur lequel tu tomberas s’appuiera nécessairement sur un (et souvent plusieurs) de ces thèmes.

Depuis les romans de Jules Verne au dernier blockbuster signé par Marvel, en passant par la science-fiction « pulp » des années 50 et tous les sous-genres plus ou moins exotiques, steampunk, cyberpunk, zombies et j’en passe.

Oui. Tous.

Monde perdu et Voyages extraordinaires

Le monde perdu, ce sont les vestiges laissés par des civilisations disparues (souvent des aliens plus avancés que nous). Emplis de nostalgie, ceux qui s’y rendent regrettent un passé qui aurait pu changer leur avenir mais qui garde pour lui ses trop nombreuses énigmes. Le monde perdu peut également décrire une civilisation humaine jadis puissante et désormais éteinte, redécouverte par de lointains descendants relégués à un âge inférieur et trop déchus pour parvenir à la comprendre.

Grandes épopées de Jules Verne, planètes étranges des magazines pulp, expéditions archéologiques de Jack McDevitt : les voyages extraordinaires, eux, sont l’archétype même du « merveilleux scientifique ». Explorer des terres étrangères et surtout étranges, repousser les limites de l’inconnu, rencontrer des races extra-terrestres semblables et pacifiques, ou bien trop différentes pour pouvoir être comprises… Ces voyages nous emmènent là où nous n’irons jamais. Ils s’appuient sur la toile de fond infinie de l’univers pour composer des ailleurs impossibles qui nous font ressentir le vertige du sens du merveilleux.

Savant fou et Homme ou animal truqué

Depuis Frankenstein et même certains anciens mythes de chimères, c’est la peur qui domine dans ces thèmes. La peur que l’homme maîtrise si bien la nature qu’il puisse la mimer et la dépasser. Et ensuite, être dépassé par elle dans un désastre encore plus grand. La peur que l’homme puisse devenir Dieu et parvienne à se substituer à son hypothétique créateur.

Selon les époques, cette peur se change en espoir. À partir des années 50, la technologie de l’atome laisse espérer toutes sortes de promesses optimistes pour notre avenir. Les super-héros maîtrisent des pouvoirs acquis naturellement (ou par accident) et les utilisent au service du bien.

Face à eux, des savants fous qui veulent toujours plus de puissance, toujours plus de pouvoir : l’archétype même de l’orgueil et de l’aveuglement face à la nature qu’aucun humain ne peut – ne doit – comprendre ni maîtriser. La technologie, la créature, le super-héros ou bien la nature elle-même : tous se retournent contre le savant fou qui périt le plus souvent par où il a péché.

Fin du monde et Guerre future

Lorsque la peur se concrétise, lorsque les conséquences de cet orgueil s’abattent, plus aucun espoir n’est permis. L’anticipation est souvent sombre, les guerres sont apocalyptiques, la technologie est le germe de notre auto-destruction. L’atome se transforme en épouvantail et notre Terre devient tombeau. La mort emporte tout.

Presque tout : il reste toujours des survivants dans ces civilisations effondrées. Condamnés à se battre contre les robots, les zombies et toutes les conséquences de la conduite irresponsable de leurs aînés, ils fuient vers le sanctuaire qui pourra leur permettre d’échapper aux restes de cette humanité déchue.

Un oubli souvent salvateur, promesse d’un monde meilleur et idéal qui ne reproduira pas les erreurs du passé. Cette nouvelle humanité parviendra ainsi à essaimer dans l’espace, à se frotter à d’autres formes de vie pour mieux recommencer à dispenser la mort à grande échelle. Dans l’espace, la guerre détruit les vaisseaux, les planètes et les étoiles. Si elle est interstellaire, ou carrément galactique, la guerre n’est cependant qu’une statistique, comme la perte d’un pion dans une partie d’échecs. Elle n’est plus une menace mortelle mais la simple toile de fond d’un opéra.

Six thèmes qui se combinent et s’entrecroisent

Le thème d’un doublet peut sans contrainte se conjuguer avec celui d’un autre. Toutes les combinaisons sont possibles. Toutes les combinaisons sont même connues.

  • Le monde perdu est post-apocalyptique.
  • La fin du monde est déclenchée par un savant fou.
  • Les guerres futures sont peuplées d’hommes truqués.
  • Les voyages extraordinaires sont propices à des rencontres et des conflits hostiles.
  • Etc.

Qu’elle soit pessimiste ou optimiste dans son approche de ces six thèmes, la science-fiction ne fait que les utiliser en boucle en suivant d’infinies variations.

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3 Commentaires
  1. Lalex 8 ans Il y a

    OMG, je viens de réaliser que tout ce que j’ai écrit jusque là en SF entre en effet là-dedans !
    Merci pour la prise de conscience.

  2. Arnaud Lécuyer 8 ans Il y a

    Je ne suis pas sûr… Certes dans Matrix il y a du post-apo et de la guerre future et une dose de technologie hors de contrôle mais… l’intérêt c’est surtout le questionnement de la nature de la réalité. Dark City c’est de la SF et je ne sais pas si ça rentre dans une de tes catégories.
    Et des oeuvres d’anticipation comme… Soleil Vert, Gattaca, c’est où ? Attention; dans Gattaca il n’est pas question d’homme truqué.
    Et tout ce qui est Hard Science ?… Comme le récent The Martian… J’ai encore quelques exemples en tête qui rentreraient difficilement dans ces 6 cases.

    • sfzone 8 ans Il y a

      Merci pour ton commentaire Arnaud. J’ai été vraiment saisi par la justesse de la sélection de Serge Lehman et c’est pourquoi je souhaitais la partager. Il ne s’agit pas de dire que chaque histoire SF, chaque trame principale s’appuie sur ces thèmes dans leur intégralité, mais simplement que l’on retrouve des traces, des indices, des tendances lourdes, dans chacun des récits en question. La révélation sera d’autant plus forte si l’on analyse chaque exemple en gardant une vision d’ensemble sur chacune de ces histoires.

      Oui, comme tu le dis, Matrix est un monde post-apocalyptique, avec des survivants qui luttent contre des machines qui les ont asservis. C’est la trame de fond du monde, pas l’intrigue principale. Quoiqu’en y regardant d’un peu plus près, l’Architecte de la matrice a tous les traits d’un savant fou, et M. Smith celui d’un homme truqué.
      Dark City est peuplé de créatures truquées (les hommes pâles) et d’une figure de savant fou (Dr Schreber).
      Soleil vert a de forts relents de fin du monde et la décision de créer le Green Soylent alors qu’elle est contre-nature correspond en tous points à la décision d’un savant fou, que je crois l’on rencontre dans le film (un dirigeant de Soylent)
      Le trucage de l’homme ne doit pas être vu nécessairement comme une modification physique visible, mais comme une modification qui va à l’encontre du cours naturel des choses. Une modification artificielle du génome en fait donc partie, ce en quoi j’y inclurais sans hésiter Bienvenue à Gattaca.
      Et le merveilleux The Martian a toutes les couleurs du voyage extraordinaire.

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